Lorsque pour la première fois, les touristes ou les baigneurs découvrent la piscine naturelle de Saorge, appelée « A Bendoura soutana » par les gens du pays, ils sont tout de suite captivés par la beauté agreste du site et surtout par la pureté de l’eau de ce torrent. Là, à quelques mètres de la route nationale, la montagne à pic d’un côté, les roches plates servant de plage aux baigneurs de l’été de l’autre, bordent les eaux calmes de la Bendola avant qu’elles ne se mêlent avec celles de la bouillonnante et impétueuse Roya.
Ce n’est qu’après s’être familiarisés avec ce lieu qu’ils aperçoivent, gravée au burin sur la falaise de la rive gauche, une curieuse inscription : « Le bain du sémite », surmontée par une date, 1892. Nom en effet, assez singulier dans cette vallée de culture essentiellement chrétienne. Et dès lors, les plus curieux envisagent mille hypothèses plus invraisemblables les unes que les autres, surtout s’ils savent que pendant fort longtemps, dans le passé, il y eut un ghetto juif à La Brigue, à l’époque important centre d’élevage et de commerce lainier.
En fait, l’origine de cette inscription est beaucoup plus prosaïque. Elle n’est que la concrétisation d’une suite de plaisanteries faites par les officiers de chasseurs alpins, cantonnés à la caserne de Saorge avant la guerre de 1914-1918, à un de leurs camarades. Celui-ci, d’origine juive, grand sportif et nageur émérite, s’était pris d’une véritable passion pour ce bassin naturel à l’eau si pure. En toutes saisons, il s’y baignait, tout au moins à chaque fois que son service le lui permettait. On m’a raconté qu’il lui arrivait de s’avancer dans l’eau glacée, nu sur son cheval. Ce qui, évidemment, donnait à ses camarades l’occasion de le tourner en dérision, tout en enviant secrètement sa performance. Ces derniers profitèrent de l’un de ses départs en permission pour mettre à exécution ce qu’ils avaient projeté de faire pour immortaliser sa passion : graver, face à la plage, cette inscription afin qu’elle soit connue de tous.
Extrait du Haut-Pays N° 23 de décembre 1991
Article de Charles BOTTON